Le titre donné à notre demi-journée de travail incite à nous interroger sur la modification des pratiques documentaires que suggère le passage de la recherche d’informations à leur analyse. Une première réponse serait d’affirmer que les changements sont intervenus en réponse à l’évolution technologique. Les avancées en traitement du langage naturel, le stockage numérique des textes intégraux, la baisse rapide des coûts informatiques nécessitent un repositionnement de l’activité documentaire sur des produits informationnels à forte valeur intellectuelle ajoutée, car les tâches de recherche et d’accès documentaires peuvent être très largement automatisées. Fini le temps de construction des index, des catalogues et des listes d’autorité pour normaliser les métadonnées de la documentation ! Nous ne pensons pas que cela soit le cas, loin s’en faut, et proposons donc de considérer une deuxième réponse. Selon nous, au lieu de simplifier l’accès à l’information, les avancées technologiques le rendent plus incertain. Abandonnons l’idée d’un passage plus ou moins inéluctable de la recherche à l’analyse des documents et considérons ces actions comme deux moments d’un même processus : celui visant à gérer des flux d’information en vue de réduire cette incertitude. Sans logiciel, l’analyse des flux d’information ne serait pas possible. Les documentalistes choisissent ces logiciels et donnent leur interprétation des résultats obtenus en tenant compte de la spécificité des traitements et d’un modèle des usages. Autrement dit, la qualité de la collaboration entre documentalistes et chercheurs est très étroitement liée à la qualité d’interactions avec les informaticiens. Afin d’illustrer différentes configurations des relations triangulaires qui ont marqué l’histoire de la documentation ces trente dernières années, nous parlerons de la bibliométrie, des collaboratoires et du Web sémantique en émergence. Dans les années 1970 et 1980, l’exploitation des bases de données a permis aux documentalistes de s’orienter vers une veille scientifique et technique utile aux chercheurs pour évaluer l’état de santé de leurs disciplines. Le développement d’outils bibliométriques et scientométriques a déporte la visée documentaire du côté de l’analyse ; elle revient vers la recherche d’informations dans les années 1990. En effet, la recherche scientifique est de plus en plus orientée vers la réalisation des projets concrets à l’intérieur de collaboratoires. Les documentalistes ont aidé à la création de ces collaboratoires par la mise en place de sites Web ouvrant sur des projets en développant des espaces documentaires souvent pluridisciplinaires par des stratégies de filtrage et d’alerte informationnels. Enfin, nous verrons une mise en boucle des fonctions de recherche et d’analyse documentaires avec le développement du Web sémantique. Le Web sémantique est une extension du Web actuel dans laquelle les documents seront décrits et structurés par les professionnels (mots clés, description bibliographique, balisage), pour que les systèmes informatiques (agents, services, etc.) puissent effectuer des traitements portant non seulement sur les contenus des documents mais aussi sur la signification de ces contenus. La gestion des flux servira aux professionnels de l’information pour animer les pratiques collectives distribuées. Dans une telle configuration, le problème posé sera celui de donner sens aux interactions dans une société de plus en plus outillée informatiquement.
William TURNER, CNRS-LIMSI